mercredi 19 décembre 2012

La « grève » morale de Gérard Depardieu

La « grève » morale de Gérard Depardieu, Mathieu Laine (Source: Le Figaro)

« Je pars parce que vous considérez que le succès, la création, le talent, en fait, la différence, doivent être sanctionnés ». En prononçant ces mots, Gérard Depardieu est devenu notre John Galt gaulois. « Qui est John Galt ? ». C’est précisément la question que posent sans cesse les héros énigmatiques d’un roman magistral, La Grève (Les Belles Lettres, 2011), que Gérard Depardieu et l’ensemble de ceux qui le comprennent et le soutiennent doivent lire au plus vite.

John Galt est un génial inventeur, créateur et philosophe qui, dans ce célèbre roman vendu à plus de 10 millions d’exemplaires, se rebelle contre l’interventionnisme galopant d’un Etat oppressant et la compression des talents qu’il implique. Il emmène avec lui l’ensemble des innovateurs, des entrepreneurs, des génies de la culture et des arts qui refusent, comme lui, d’entretenir un système et des hommes politiques qui non seulement pompent leur énergie, s’accaparent une grande partie des fruits de leurs efforts, mais les pointent aussi du doigt, les menacent, et finissent, après les avoir spoliés, par les insulter.

Tous ces talents qu’on harcèle, qu’on bride et qu’on invective disparaissent littéralement. Ils font la grève. « Il y a une différence entre notre grève et toutes celles que vous avez menées pendant des siècles. Notre grève ne consiste pas à formuler des revendications, mais à les satisfaire. Nous sommes mauvais, selon vos principes : nous avons choisi de ne pas vous nuire plus longtemps. Nous sommes inutiles, d’après vos théories économiques : nous avons décidé de ne pas vous exploiter davantage ». Et c’est ainsi que, John Galt et ses disciples ayant quitté la scène, le moteur du socialisme s’arrête. La prise de conscience est radicale. Mais il est trop tard. Trop tard pour comprendre qu’en affaiblissant les hommes et les femmes qui réussissent, en tuant les incitations individuelles au dépassement de soi et à l’innovation, c’est toute la société qui s’effondre.

Cette révolte est morale. Elle est fondée et justifiée sur le plan éthique. « Nous sommes en grève contre l’auto-immolation. Nous sommes en grève contre le principe des récompenses imméritées et des obligations sans contrepartie. Nous sommes en grève contre la doctrine qui condamne la poursuite du bonheur personnel. Nous sommes en grève contre le dogme selon lequel toute vie est entachée de culpabilité ».

Ayn Rand, l’auteur d’origine russe de ce best-seller mondial, intitulé Atlas Shrugged en anglais (car Atlas, portant le monde, se révolte en secouant les épaules) a écrit sa prophétie en… 1957. Il aura fallu attendre 2011 pour que la France soit l’un des derniers pays à le traduire. Celle-ci vient cependant à point nommé, dans une France malade de son interventionnisme et de sa pression fiscale, qui n’ont cessé de croitre sous Nicolas Sarkozy comme sous François Hollande.

Sans même compter le délire des 75% et les chiffres effondrants avancés par notre Cyrano national, sentant monter jusqu’à son nez l’insoutenable captation, la véritable tranche marginale de l’impôt sur le revenu atteint désormais 64%, avec une tranche marginale officielle à 45% à laquelle il faut ajouter une surtaxe de 3% pour les revenus supérieurs à 250 000 EUR et des prélèvements sociaux de 15,5%. En Allemagne, on est à 27% !

Lisez Alberto Alesina, ce professeur de Harvard qui vient de démontrer à nouveau combien il est préférable de baisser les dépenses que d’augmenter les impôts pour relancer la croissance et l’emploi. Découvrez, au lieu de les tenir à distance, tous ceux qui, avant lui, ont compris et démontré les méfaits de l’hyper-impôt et l’élan libérateur, notamment sur le point fondamental de la solidarité et de la lutte contre la pauvreté, d’un changement de cap radical. L’innovation politique est là, la France ne l’ayant jamais tentée. Mieux encore : ceux qui ont essayé ont toujours été réélus. Voilà qui devrait convaincre.

Mais le plus pénible, et le plus inquiétant, est sans doute la montée de ce moralisme fiscal nauséabond, cette mise en fiches puantes, nominatives et dégradantes, de ceux qui ne font, pardonnez-leur, qu’exercer leur liberté inaliénable de circuler, après avoir osé penser, créer, inventer, et recruter. Que l’on soit riche ou pauvre, on ne quitte jamais son pays sans tristesse. La sécurité que l’on poursuit, et la liberté que l’on espère, ont cependant parfois plus de prix que ce déchirement intérieur.

Mais au Carnavalgrad des joli-pensants, l’escroquerie du Bien risque encore longtemps de faire office d’hymne national. A ceux-là, et surtout aux artistes en quête de popularité, osons leur dire : plutôt que de juger, d’insulter et d’ironiser, donnez, non des leçons, mais votre argent. Dépassez les 75%, puisque vous y croyez tellement. L’impôt volontaire existe. Il devrait être facilité. Ainsi, toutes les libertés seront respectées.

Mathieu Laine est président d’Altermind, enseigne à Sciences-Po et vient de publier le Dictionnaire du libéralisme (Larousse, 2012)

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